lundi 30 juillet 2012

JARDIN DES PLANTES 5 / Casoars








































S'il y a des animaux qui font l'unanimité, le casoar n'est pas de ceux-là.
Assis comme je le reste de longs moments devant certains d'entre eux, je pourrais faire des statistiques à partir des commentaires que j'entends. Par exemple de l'avis général, le petit panda est "trop mignon". Et le yack "pue".
Le casoar, lui, scinde la population en deux camps : ceux qui le trouvent immonde ("Viens voir un peu c't'affaire !", "On dirait Kevin", ou diverses interjections imitant une envie de vomir réprimée) ; et ceux qui restent le souffle coupé et finissent par murmurer "Il est beau...".
Et c'est vrai qu'il est beau, il est même magnifique.
Certes, ses pattes gris-poussière semblent d'une puissance disproportionnée par rapport à l'ensemble, comme un socle trop gros pour la sculpture qu'il porte, mais cela fait partie de l'étrangeté de sa grâce. De son corps on ne connait aucun détail des enchaînements anatomiques car tout est emballé comme dans une gangue dans une boule duveteuse : son plumage de longs poils luisants, au tombé impeccable. Cette masse noire semble un écrin pour mettre en valeur un joyau : son cou, qui en sort comme un bref arc-en-ciel et où se concentre toute sa complexité. Cingle d'abord une tache bleue — mais "bleue" est un peu court car il s'agit d'un bleu très particulier, le bleu-casoar, avec des variations irisées le faisant passer du lavande au turquoise — puis viennent ses pendouillettes d'un rouge vif et frais comme un géranium. Je ne parle même pas de son casque en os qui vient s'emboîter entre ses yeux d'aveugle et où j'ai cru voir des restes de dorure.
Cet oiseau est une sculpture, un objet de design. Une classe folle.

Seulement voilà.
Le mâle, bien disposé à mon égard ce jour-là, consentit à poser, de face, dans une immobilité parfaite de près d'une demi-heure. Subitement, comme secoué de sa torpeur par événement incroyable, il se mit à regarder par terre à côté de lui.
Un caillou.
Mon casoar avait vu un caillou.
Je ne sais pas, ça m'a laissé perplexe. A vrai dire j'ai eu un peu de mal à m'en remettre. Je crois qu'il a brisé quelque chose dans mon admiration. Et je me suis rappelé que l'émeu était son cousin (vous avez vu un émeu marcher les yeux mi-clos et la bouche entrouverte ? Consternant).

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